Audioprothésistes agréés
LA SITUATION ACTUELLE III
INTERETS D’UNE REHABILITATION AUDIOPROTHETIQUE
En 2001, le secrétariat d’Etat chiffrait à 5 millions le nombre de malentendants dont 3 étaient âgés de plus de 55 ans. Ainsi, nous assistons à une prise de conscience générale du problème de l’audition et de ses conséquences. En témoigne, chaque année, l’engouement pour les journées nationales de l’audition.
Comme le publiait notre revue professionnelle, « l’homme est constamment en communication avec le monde environnant. C’est par lui et avec lui qu’il se construit. La surdité est un handicap qui interfère dans la communication, le privant ainsi des relations qu’il entretient avec autrui et des échanges inter-sociaux ». Un déficit auditif s’accompagne de modifications fonctionnelles cérébrales et d’une baisse des capacités cognitives. L’adaptation audioprothétique est souvent une solution inévitable et parfois complémentaire d’un traitement médicamenteux ou chirurgical. Elle revêt malheureusement certaines limites que nous avons développées dans la situation actuelle n° II.
Notre profession souffre encore d’une mauvaise presse. En effet, une patiente nous disait récemment que « tout le monde connaît une personne appareillée mécontente dans sa famille ou parmi ses amis ». Il est donc nécessaire d’insister sur les effets de la rééducation prothétique pour rassurer nos patients et inciter à l’appareillage précoce.
AMELIORATION DES CAPACITES PERCEPTIVES
- De la perception fréquentielle
Le but de l’appareillage consiste à ramener une perception fréquentielle homogène, « la plus plate » possible, excepté pour les zones cochléaires mortes. Après plusieurs mois d’utilisation, il permet un rapprochement des sensations de hauteur (tonie) et d’intensité (sonie) du malentendant sur celles du normo-entendant, signe que le codage en intensité et en fréquence se fait de la même façon.
Après appareillage, un patient atteint de recrutement sera de moins en moins sensible aux bruits intenses. Nous constatons un abaissement de son seuil d’inconfort grâce à « l’entraînement auditif ». Le port régulier d’une aide auditive permet donc une meilleure progression de la sensation subjective d’intensité tout au long de la dynamique auditive et enrichit « le nuancier fréquentiel ».
Un suivi rigoureux du patient est nécessaire pour que la perception soit la plus identique possible sur toutes les fréquences. En effet, nous ne pouvons pas apporter immédiatement une puissance acoustique importante sur des fréquences altérées, sans risque d’agression. Il faut augmenter progressivement la charge de travail neurosensorielle et favoriser le port de l’aide auditive.
- Du décodage phonétique
La déficience auditive est souvent inégale suivant les fréquences. Certains neurones sont donc beaucoup plus stimulés que d’autres. Il s’en suit un transfert neuronal des zones les moins actives vers les régions les plus sollicitées. Pour une presbyacousie, les neurones codant les fréquences aiguës vont évoluer et migrer vers la zone responsable des médiums et de la fréquence de coupure. C’est pourquoi les consonnes faibles, chuintantes, sifflantes et fricatives, (ch, s, f) sont souvent déformées en consonnes moins aiguës et plus énergétiques (b, d, g, p...).
L’appareillage auditif permet d’éviter ou de corriger ces transferts phonétiques grâce à la stimulation de certaines zones fréquentielles « oubliées ». La population neuronale est stimulée de la même façon et retrouve ses spécificités premières (tonotopie et ampliotopie). La restauration des indices temporels et fréquentiels amène une meilleure analyse formantique.
- De la discrimination dans le bruit
Après plusieurs mois de port, l’appareillage a :
- d’abord des effets quantitatifs : le patient perçoit de nouvelles fréquences, reçoit plus d’informations tout en étant moins sensible aux fortes intensités.
- puis des effets qualitatifs car ces nouvelles informations génèrent un meilleur décodage. Le malentendant a perdu l’habitude d’analyser les bruits et d’en « éliminer » certains. Les porteurs d’aides auditives ont souvent une impression de « cacophonie » au début de l’adaptation. Puis, le système auditif devient plus sélectif. Le patient différencie mieux deux sons voisins en fréquence et subit moins les effets de masque du bruit sur la parole. Il devient capable d’extraire la parole du bruit.
Les nerfs auditifs étant intrinsèquement plus sélectifs, les « deux images sonores » arrivant au tronc cérébral sont plus ressemblantes l’une de l’autre. La fusion binaurale est alors favorisée et le relief sonore, l’asymétrie droite/gauche et la localisation spatiale retrouvés.
- De la tolérance des acouphènes
Hypoacousie, hyperacousie et acouphènes sont souvent liés. En effet, un patient hyperacousique fuit le bruit. Pourtant, c’est le calme qui le rend sensible à l’environnement sonore. Plus il reste dans cette obscurité et plus il devient sensible à la lumière.
Le cerveau travaille suivant un mode comparatif. Dans le calme, il scrute et amplifie. L’intensité sonore perçue et les acouphènes éventuels sont alors « exagérés » par un bouclage cortical, sous-cortical et émotionnel.
L’appareillage auditif permet de réduire ce phénomène par accoutumance à une charge de travail neurosensorielle de plus en plus importante. Le patient reprend goût à l’environnement sonore à sa vitesse et se déshabitue de son refuge silencieux. Le tronc cérébral change de référence. Il ne compare plus l’acouphène au calme mais à l’environnement sonore amplifié. Le bouclage émotionnel et cortical est sous-alimenté et l’acouphène se banalise.
Les acouphènes sont chez certains patients très bien compensés mais peuvent s’avérer pour d’autres plus difficiles à supporter voire même conduire à des troubles du comportement : dépression, suicide, etc... L’aide auditive ne peut pas être une indication à part entière mais elle réduit souvent partiellement ou totalement ces bourdonnements ou ces sifflements lorsqu’ils s’accompagnent d’une déficience de l’audition.
UNE MEILLEURE ORGANISATION CEREBRALE AUDITIVE
Cette amélioration mesurée quotidiennement chez de nombreux patients doit amener à une réflexion sur la plasticité cérébrale auditive. En effet, nous constatons une amélioration des capacités centrales alors que la stimulation par l’aide auditive est périphérique.
Si la privation des afférences entraîne une réorganisation corticale, la correction auditive doit, elle aussi, modifier l’organisation neuronale. Chaque neurone redevient sélectif et code la fréquence qui le faisait réagir avant la surdité. Le patient appareillé retrouve une cartographie fréquentielle connue si les régions cochléaires lésées ne sont pas des zones dites « mortes ». Nous devons pouvoir déceler ces zones pour prédire les effets de l’appareillage à court et long terme car la réorganisation corticale ne sera que partielle dans ce cas. L’efficacité prothétique doit être limitée sur certaines fréquences pour éviter une sur-stimulation des régions adjacentes.
AMELIORATION DES CAPACITES DE MEMORISATION, DES SCORES DE DEPRESSION, D’ANXIETE ET BAISSE DE L’ETAT DE STRESS
Avant appareillage auditif, les malentendants présentent plus de difficultés mnésiques dans leur vie quotidienne. Plusieurs études mettent en évidence un effet bénéfique de la réhabilitation auditive sur les processus mnésiques épisodiques.
De plus, des travaux démontrent que la perte auditive implique des troubles sévères de la communication qui ont pour conséquences l’isolement social et émotionnel de la personne. Elle ne trouverait plus de satisfactions sociales et ressentirait un trouble de l’estime de soi qui pourrait entraîner des troubles émotionnels importants tels que la dépression ou une anxiété pathologique.
L’aide auditive améliore la communication et la socialisation. Elle est « l’interprète » d’un monde sonore devenu étranger et permet une reprise de la confiance en soi.
ConCLUSION
Il y a une vingtaine d’années, le cerveau était présenté comme un ensemble fini, immuable, définitivement câblé de connexions longitudinales et transversales dégénérant avec l’âge.
Depuis peu, on utilise le terme de plasticité pour le caractériser. Il s’apparenterait à un ensemble souple, infini, en perpétuel changement et s’adapterait à son milieu en permanence.
Nous avons vu que la correction auditive conduisait à des changements centraux bénéfiques se rapprochant de l’organisation corticale du normo-entendant. Le suivi prothétique et les avancées technologiques sont les seuls moyens de faire se ressembler ces deux modèles.
Prochainement, nous pourrons adapter nos patients avec des appareils « communiquant ». En stéréophonie, l’appareil « maître » enverra des directives automatiquement à l’autre, « esclave » pour améliorer la discrimination dans le bruit et la localisation sonore.
La réhabilitation prothétique est d’autant plus difficile que la perte auditive est importante et ancienne. Les nouvelles informations sonores risquent de saturer des capacités cérébrales amoindries. Cependant, il est très courant de voir évoluer le patient lors de l’adaptation. D’abord inquiet et réservé, il se resociabilise, redevient actif ou acteur et prend confiance en lui. Même si les effets de la réhabilitation audioprothétique ne sont pas encore tous connus, cette transformation sociale est la meilleure preuve de son bienfait.
Une avancée sociale importante : depuis septembre 2004, le Journal Officiel autorise le remboursement des dernières technologies pour les enfants et les personnes atteintes de cécité.